“ 6633 ” (1999)

1. Le jugement

Je me terre dans la terre
Pour échapper au jugement
De ta mère et de ton père
Je ne suis pas l'homme du moment

Je fais un trou dans ton jardin
Que tu recouvres de tes mains
J'attends les douze coups de minuit
Pour te rejoindre dans ton lit

Attention pas de bruit
Le bois craque, les marches sont ennemies
J'ouvre une porte mais pas la bonne
C'est la chambre où tes parents dorment

Mais que vois-je, tu n'es pas là
Le lit est fait, les draps sont froids
De ta fenêtre dans le jardin
D'un bond vif, je saute à pieds joints

Je fais le tour de ta maison
Très doucement, je crie ton nom
Tu ne réponds pas, triste je m'en vais
Mais mon abri est recouvert de terre, de gazon vert

Dans le trou, disparue
Sous la terre, complètement nue

2. Jonas

J'habite seul dans une maison
Avec mon père et un poisson
Un jour c'est moi, un jour c'est lui
Qui change l'eau et le nourrit

Une fois l'aquarium s'est brisé
Une manoeuvre infortunée
Le poisson s'est quasi noyé
Noyé dans l'air il étouffait

Je l'ai plongé dans la piscine
Pour lui de nouvelles racines
Il se sentait un peu perdu
Mesurant mal cette étendue

Bientôt il demanda deux fois
Ce qu'il avalait autrefois
Sans doute l'effort lui donnait faim
Des miettes en plus, c'est trois fois rien

Il voulut bientôt davantage
De la viande fraîche et du fromage
Père ne fut pas du tout d'accord
Il réclame encore et encore

Le plus terrible c'est qu'il grossit
À vue d'oeil rattrape Nessie
Je crois bien que notre piscine
Ne sera pour lui qu'une bassine

Mon père un jour fit la morale
Au poisson devenu morfale
Il imposa une longue diète
Pour qu'il retrouve un peu sa tête

A peine eut-il le temps de finr
Que l'animal put le saisir
Comme une mouche il le goba
Depuis père vit dans l'estomac

3. X'tern

Je marche d'un pas assuré
Assurément, c'est moi
Aucun doute, je me connais jusqu'au bout des doigts
Voici mon colt, graissé, il est gras et colle
Et mon chapeau est la preuve que j'en suis un vrai
Tu ne me crois pas
Tu as des doutes

J'ai tiré devant moi et j'ai vu tomber
Mon cheval, sous moi
J'ai tiré de côté et j'ai vu devant moi le shérif, sur le coup, tué
J'ai tiré devant...

La ville m'appartient
Je suis Will, Will Tancrède
Ôte-toi de mon soleil, tu me fais de l'ombre
On me respecte parce que je tire sans jamais regarder ma cible
Tout simplement parce que la balle atteint directement l'objectif
Qu'elle-même s'est fixée
Je vais te dire une chose
Mon intelligence dépend du hasard qui la provoque, provoc
Tu ne me crois pas, tu as des doutes

J'ai tiré devant moi et j'ai vu tomber
Mon cheval, sous moi
J'ai tiré de côté et j'ai vu devant moi le shérif sur le coup, tué
J'ai tiré devant moi, j'ai tiré de côté...

4. Le préféré

J'aime, ô que j'aimerais venir contre toi
Ô que tu m'étonnes quand ton mari n'est pas là
J'aime, ô que j'aimerais venir contre toi
M'abandonner sans gêne, blotti dans tes bras

Tu vis ta vie dans un pavillon
Sis à la campagne, loin des pollutions
Jean-Paul tous les jours en représentation
De la Beauce à la Champagne vend ses échantillons

Oui mais quand j'arrive c'est ton chien qui m'accueille
Il me fait la fête d'un mauvais oeil
Chérie si tu m'aimes, ouvre-moi sans escorte
Est-ce encore de l'amour, un amour de la sorte?

Pourquoi ne veux-tu pas enfermer le chien
Par-dessus la clôture je te courtise en vain
Parce que me dis-tu, il fait des bêtises
Sa queue détruit tout, Jean-Paul me fera une crise

Tu as pour moi des attentions qui comptent beaucoup
Je t'aime, je suis fou de toi
Mais le problème sera toujours le même entre nous
Je ne peux pénétrer dans ton jardin

Toi qui me parles de venir me retrouver
Dans une garçonnière que j'aurais louée
Cette solution me semble vraiment impossible
Je ne peux vivre sans toi, c'est inadmissible

Et ton amour un peu trop canin
A ses préférences contre lesquelles je ne peux lutter
Entre le maître, l'amant et le chien
Souvent je me demande où se niche le préféré

Quand j'arrive c'est ton chien qui m'accueille
Il me fait la fête d'un mauvais oeil
Chérie si tu m'aimes, ouvre-moi sans escorte
Est-ce encore de l'amour, un amour de la sorte?

Tu as pour moi des attentions qui comptent beaucoup
Je t'aime, je suis fou de toi
Mais le problème sera toujours le même entre nous
Je ne peux pénétrer dans ton jardin

5. Cyclopé-haine

Je suis né avec un oeil au lieu,
Un seul oeil au lieu de deux (bis)
Placé au-dessus du visage
Il barre le milieu de mon front
Placé au-dessus du visage
J'enrage

Juché sur mon promontoire rocheux
J'observe les phénomènes humains
Aux prises avec les flots assassins
Plutôt que de leur porter secours
J'aiderai de mes bras immenses
La mer à faire d'eux son festin

6. Fable

Mon beau sapin est en bois de sapin
L'eau de mon bain est en particules d'eau
J'appelle corbeau le plumage de l'oiseau
Qui vole haut puis se pose sur le sapin

Je me sens bien avec moi dans mon bain
Oum le dauphin est son surnom d'animaux
Lisse est son dos si bien qu'y glisse le corbeau
Ses plumes ont l'eau de leur encre noire teinte

Le corbeau, l'eau, le dos
Le dauphin, le sapin, le bain

Mon beau sapin, l'eau de mon bain
Je me sens bien, Oum le dauphin
L'eau de mon bain, mon beau sapin
Je me sens bien, Oum le dauphin
Mon beau sapin…

7. Le géant vert

Tu es trop petit pour cueillir ce fruit
Qui pend dans ton jardin, à portée de main (bis)
Tu le vois se gâter, pourrir le fruit
Contre ta volonté, les oiseaux tu nourris
Ils t'aiment bien

Tu es trop petit pour passer en fraude
On te repère en somme du haut de tes trois pommes
Ce n'est pas de ta faute, ni celle d'Ève
La nature joue de fausses notes
Qui ressemblent à ses rêves
Elle s'amuse bien

Tu es trop petit pour plaire à cette fille
Dont tu vois tous les jours les précieux atours
Ton amour est limité à la hauteur de ton nez
Ton amour est bien trop bas pour cette fille-là
Elle te plaît bien, mais elle n'est pas pour toi (bis)

Tu es trop petit pour aller jouer
Dans la cour des grands, les grands de ce monde
Tu n'en fais pas vraiment partie
Tu joues de la synecdoque, un instrument d'une autre époque
Tu en joues bien

Tu es trop petit pour la suivre dans la rue
Elle marche vite, bien trop vite pour toi
Elle disparaît dans la forêt
Nue dans la foule, que dans ta boule
Pas pour de vrai
Elle te plaît bien, maise elle n'est pas pour toi

Bientôt tu vas partir en voyage
Consulter des sciences tous les mirages
De promesse en promesse non tenue
Tu vas grandir à ton insu (bis)

Tu es trop petit pour plaire à qui que ce soit d'autre
Qu'à ton père, ta mère et tes frères
Mais pour ton corps on émet des réserves
On t'aurait voulu fort
Que tu te serves de tes hormones

Tu es trop petit pour rivaliser avec cette assemblée, ces géants debout
Ils sont partout, ils sont parmi nous
Ils possèdent la terre, ils se mettent au vert
Tu n'as pas peur des géants dans la ville
Tu n'as pas peur du géant vert

Bientôt tu vas partir en voyage
Consulter des sciences tous les mirages
De promesse en promesse non tenue
Tu vas grandir à ton insu (bis)
Partir en voyage, promesse non tenue
Bientôt tu vas partir, bientôt

8. La vie conjugale

Notre relation conjugale
Notre relation va mal
Il faut se ressaisir, éviter le pire
Limiter les dégâts dus au verglas

Nous sommes un peu trop unilatéraux
En étant égaux par l'ego

Est-ce à cause de nous
Que tout marche de travers
Est-ce à cause de nous
Que l'univers

Celui qui décide n'est pas celui que l'on croit
Nous sommes homicides de notre moi
Nous pourrions mieux faire sans aucun doute
Il n'est que le premier pas, le premier pas qui coûte

Aucun de nous deux n'a tort
Notre amour n'est pas mort
Aucun de nous deux n'a tort
Mon amour

La terre s'est trompée de sens
A l'inverse des aiguilles d'une montre
Elle tourne sans but, son errance
Notre différend démontre

Quand le téléphone sonne, c'est le chat qui aboit
La maison résonne, les ponts ploient

Est-ce à cause de nous
Que tout marche de travers
Est-ce à cause de nous
Que l'univers

9. M'as-tu vu

Aujourd'hui dans la rue je t'ai vue
Je t'ai suivie jusqu'au bout de la rue
Là où finissait la terre, où commençait l'abîme
Ne saute pas, t'ai-je dit, à quoi ça rime?

Si tu tombes je serai comme un éléphant sans défenses
Attiré par le vide causé par ton absence
Si tu restes avec moi, je m'attacherai à toi
Tu peux me faire confiance
Beaucoup de filles l'ont fait avant toi

Par amour je te suis, m'as tu vu
A ton endroit je suis ému
A ton envers aussi

Secrètement je te le dis: tu es mon genre
Féminin, je ne suis pas masculin
Je suis ton genre comme tu es le mien
A ton envers aussi

Moi je t'aime sans raison, alambiqué
Est mon amour à toi donné (bis)

10. L'homme qui vient

Tiens la voilà qui s'étrangle quand je parle de lui (bis)
Tiens la voilà qui rougit quand je parle de lui (bis)
Je ne peux pas croire qu'il n'y ait pas quelque chose
Entre toi et lui

Tiens la voilà qui s'étrangle quand je parle de lui
Tiens la voilà qui rougit quand je parle de lui

C'est tellement invisible, que ça crève les yeux
C'est tellement invisible, qu'à présent je m'en veux

L'homme qui vient vient les bras chargés de présents
Pour moi je n'ai jamais été capable de faire don de mon temps
L'homme qui vient ne vient pas au mauvais moment
Pour moi je n'ai jamais été capable de me poser un instant

L'homme qui vient est d'une beauté surhumaine
L'homme qui vient est d'une intelligence qui dépasse l'entendement
Tiens la voilà qui s'étrangle quand je parle de lui
Tiens la voilà qui rougit

C'est tellement invisible que ça crève les yeux
C'est tellement invisible qu'à présent je m'en veux

11. Mon idéal

Mon idéal architectural
C'est vivre sous le même toit que toi

12. Mon pantalon blanc

Pour toi je veux bien devenir quelqu'un de bien
Apprendre à marcher en évitant les flaques de boue
Je veux essayer de manger proprement
Pour ne plus tâcher mon pantalon blanc

Tu sais, c'est difficile pour moi d'agir autrement
Je profite de ton absence et suis la loi du garnement
Maintenant, c'est décidé, je vais faire quelques efforts
Pour être celui dont tu rêves, gentil, joli et fort

Je serai quelqu'un de bien, tu verras
Juste quelqu'un de bien...

Tu ne verras plus jamais mes lacets dénoués
Et quand tu rentreras, la chambre sera toujours rangée
Sans compter qu'à l'école, je serai le premier
Tu seras fière de moi, de m'avoir engendré
Et si l'on me cherche, j'éviterai les histoires
Plus de bleu, plus de sang, plus jamais la moindre bagarre

Je serai quelqu'un de bien, tu verras
Juste quelqu'un de bien...

13. L'Amérique interdite

Comme Abram une voix nous a dit ce mot: partez!
Partez, oui, mais sans garantie aucune, de pays, de portée.
Nous avons mis des cartes, des continents sur la table.
Des plans, puis nous avons tout jeté au feu
Que faire de monde de papier?

En Afrique on vit des gnous
Vers l'Asie nous sommes allés
L'Europe est devenue myope
L'Amérique n'est pas pour nous

Nous pourrions tout quitter
Aller vivre n'importe où
Faire comme si nous étions sans racine
Racine, on s'en fout

Comme Abram une voix nous a dit ce mot: partez!
Partez, oui, mais sans garantie aucune, de pays, de portée.

Nous pourrions habiter dans une cabane surchauffée
Pendant que j'irais pêcher le phoque
Tu préparerais le dîner

Au Pôle Nord il faitt trop froid
Au Pôle Sud encore plus froid
Nous sommes inaccoutumés
Aux variations trop brutales

Je te suivrai partout
Mais tu me dis pars en premier
Je t'emmènerai vivre d'amour fou
Là-haut dans mon grenier

En Afrique on vit des gnous
Vers l'Asie nous sommes allés
L'Europe est devenue myope
L'Amérique n'est pas pour nous (bis)

Alors nous sommes restés dans le même appartement
Dans la même ville, avec les mêmes gens

14. L'ombre, la nuit

J'avance et mon ombre me devance
Devant moi se tient, me dit
" Ton ombre, ton ombre je suis "
Plus vite, devant, me précède
Devant moi se tient, me dit
"Ton ombre, ton ombre je suis "
Me colle la peau, adhère
Colle au corps, de trop près
L'ombre, forcément
Le paysage me suit me parle
Devant moi des trous se forment
Des trous forcément
Mes pas me pressent de passer
Outre mon chemin
L'ombre, dans les trous (bis)
Je tombe, traverse, ressort
De l'autre côté de la terre
Une ruse de l'ombre

Je piétine mon ombre crie
"Laisse-moi, sans moi tu n'es pas
Sans moi, tu n'es pas
Sans ombre, tu n'es que l'ombre de toi-même.
Sans ombre tu n'es pas "
Je vois des visages sur la route
Ils regardent mon ombre et moi la leur
Regardez, là, regardez
Nos ombres se parlent, se répondent
Se racontent des histoires de fantômes
Entendez: ça fait peur.

Ça fait froid dans le dos de mon ombre
A moi, devant
Entendez: ça fait froid

Mais la nuit je m'enveloppe en elle
Je la deviens, je deviens elle
Je deviens: l'ombre, la nuit

15. Pépites

C'est bon pour la santé de mordre la poussière
C'est bon pour la peau, le soleil avec l'eau
C'est bon pour le moral, de passer les frontières

Nous sommes les chercheurs d'or
Oui, mais nos trouvailles ne sont pas à la hauteur

Des tas d'ordures que nous avons le malheur
De dénicher au fond des cavités
Abandonnés par des êtres civilisés
De l'or quand on en trouve, il est juste plaqué

De menus objets, lessivés, frottés, usés
Nous sommes les chercheurs d'or

C'est bon pour nous-mêmes de vivre par nous-mêmes
Ca sent la fortune, ça sent la richesse
Surtout quand la poussière est mêlée d'un peu d'or

Nous sommes les chercheurs d'or
Oui, mais nos trouvailles ne sont pas à la hauteur:
Des tas d'ordures que nous avons le malheur
De dénicher au fond des cavités
Abandonnés par des êtres civilisés
De l'or quand on en trouve, il est juste plaqué.
De menus objets, lessivés, frottés, usés
Nous sommes les chercheurs d'or

16. L'amour dentaire

Quel est le nombre de dents qui sont saines
Dans ta bouche: oh non!
Que de trous, les caries se déchaînent
Que de trous!
Je te conseille de faire quelque chose
Sinon la bouche garderas close
Un petit tour chez le dentiste, preuve que l'amour existe

Je ne veux pas en t'embrassant sentir tes dents malades.
Que nos baisers soient mêlés de sang, que nos dents se baladent

Le dentiste est une personne de votre quartier.
Contrairement au boulanger, trop rarement le rencontrez

Il ne faut pas croire
Que notre amour est illusoire
Que tienne quand nos bouches s'enserrent
Notre appareil dentaire
Notre amour n'est pas mort, dévitalisé
Qu'à pleines dents, la vie nous morde
Arrachons la discorde

Nous ferons des voyages dans le monde entier
À la recherche de nos racines.